La rentabilité des capitaux propres à 15 % : un mythe financier français ?
PUBLIÉ
LE
13 AVRIL
2021
Dans un article de recherche, paru dans la revue Finance Contrôle
Stratégie, Christophe
Bonnet et Michel Albouy,
enseignants-chercheurs en finance à Grenoble Ecole de Management, démontrent
que la supposée exigence de 15 % de rentabilité par les actionnaires n’existe
pas. Les chercheurs mettent en évidence la façon dont cette croyance s’est
diffusée en France, depuis les années 1990, sous l’influence de leaders
d’opinion et de médias de référence. Focus.
Quelle définition, simple, donnez-vous à la rentabilité des capitaux
propres (Return On Equity – ROE) ?
Le ROE est le ratio d'efficience d'une entreprise, vu du point de vue de
l'actionnaire. C'est un ratio fondamental pour un investisseur. A savoir, quels
sont les bénéfices attendus par l'actionnaire au regard de son investissement
financier.
Il existe plusieurs façons de mesurer la rentabilité pour l'actionnaire.
D'un point de vue strictement comptable, le ROE correspond au résultat net
divisé par les capitaux propres. La rentabilité d'un investissement en actions
peut également être évaluée sur la base du prix d'achat d'une action, puis de
sa revente, en prenant en compte, éventuellement, les dividendes reçus entre
temps. Enfin, on parle de rentabilité « espérée » pour désigner la
rentabilité attendue par un actionnaire lorsqu'il évalue un investissement. Mais,
dans aucun de ces cas, comme nous le montrons dans notre article, les
observations empiriques sur une longue période ne permettent de confirmer
l'existence d'une norme de 15 % de rentabilité. Ce n'est pas surprenant car, en
finance, la rentabilité dépend du niveau de risque.
Si vous investissez dans des projets à risque très faible, vous pouvez vous
contenter d'une rentabilité peu élevée. Mais si vous investissez, par exemple,
dans des startups dont 50 % échouent, un calcul simple montre que les succès
doivent vous rapporter plus que deux fois la mise, sinon votre activité ne peut
pas être pérenne !
Le ROE est le ratio d'efficience d'une entreprise, vu
du point de vue de l'actionnaire. C'est un ratio fondamental pour un
investisseur. A savoir, quels sont les bénéfices attendus par l'actionnaire au
regard de son investissement financier.
La norme de 15 % de rentabilité n'existe pas, dites-vous. D'après
votre analyse, « l'existence d'une telle norme est réfutée par
l'ensemble des données empiriques disponibles. Ainsi, sur la
période 1980-2016, seules 37 % des entreprises françaises et 52 % des
entreprises américaines ont un ROE supérieur à 15 %. » Pourquoi
avoir choisi d'éclaircir le propos ?
Nous étions surpris du succès de cette idée reçue, très présente dans les
médias français et les discours des observateurs, y compris de certains
académiques. Un objectif fixe et universel de rentabilité ne fait aucun sens
pour les chercheurs en finance, ni pour les professionnels. Notre idée
consistait donc à réfuter ce mythe des 15 %. On peut remarquer que cette fausse
croyance n'a pas été relayée par les grands médias économiques anglo-américains
alors qu'elle est apparue et perdure en France, même si elle y est moins
prégnante que dans les années 1990-2000. Elle est devenue, au fil du temps, une
sorte de (fausse) évidence, qu'il est de bon ton de mentionner pour critiquer
les actionnaires, qui seraient tous, par nature, avides et
court-termistes !
Dans un article, paru dans The Conversation, vous pointez notamment le
faible niveau de culture économique et financière des Français, et l'influence
de l'enseignement des sciences économiques dans l'hexagone. Quelle est cette
spécificité française ?
La question est de comprendre pourquoi cette croyance s'est diffusée en
France. Nous proposons effectivement deux hypothèses. Tout d'abord, de
nombreuses enquêtes internationales, dont les enquêtes PISA, relèvent le faible
niveau de culture économique et financière des français, et notamment une
méconnaissance des notions de rentabilité et de risque. A ce sujet, il est tout
de même préoccupant de constater que cette croyance a été relayée, à l'époque,
par les principaux médias économiques de référence ainsi que par certains
grands patrons, sans faire l'objet d'une véritable analyse critique, comme nous
le montrons dans notre article !
Comme l'ont montré plusieurs rapports et observateurs, les programmes de
sciences économiques au lycée souffrent de certaines lacunes : approche
principalement macro-économique, faible intérêt pour l'entreprise et ses
contraintes, tendance à insister sur les seuls côtés négatifs,
« oubli » du risque qui est pourtant propre à tout activité
économique.
Notre deuxième explication tient à l'hostilité, en France, vis-à-vis de
l'économie de marché, qui est beaucoup plus forte que dans d'autres pays, comme
le confirment de nombreuses études internationales. Notre propos n'est pas,
bien évidemment, de dire que les entreprises et les actionnaires ne doivent pas
être critiqués ! Mais dans une époque propice à la méfiance généralisée et
aux fausses croyances, il nous semble utile de contribuer à une meilleure
compréhension des mécanismes de la finance d'entreprise. Et aussi de tracer une
ligne plus claire entre les faits et ce qui relève des opinions – y compris
dans la critique du capitalisme !
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