Note de lecture de Géopolitique des pays
émergents - Ils changent le monde de Sylvia Delannoy (puf, mars 2012) par Baptiste
Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica. Enfin un ouvrage qui
s’applique à définir « l’émergence », mot-valise trop pratique pour décrire des
bouleversements économiques et géopolitiques actuels plus complexes qu’ils n’en
ont l’air. Pris comme phénomène ou comme processus, le concept place un groupe
de pays assez hétérogène "en position de force face à un Occident dont on
annonce partout le déclin" [page 34], y compris sur le plan des valeurs.
L’auteur
réussit le tour de force de rendre compte de la complexité du concept
d’émergence grâce à une approche plurifactorielle et classificatrice. A la fois
phénomène et processus, le terme vient du monde financier : il apparaît en 1981
sous la plume d’Antoine Van Agtmaël, dans un rapport de la Société Financière
Internationale (organisme de la Banque Mondiale) et renvoie à des marchés
propices aux investissements. L’émergence va ensuite intégrer le vocabulaire
courant de l’économie et des relations internationales. Il caractérise avant
tout un pays à croissance rapide, offrant un cadre propice aux investisseurs
étrangers. Un pays en situation de décollage économique avec une célérité
inédite. Les puissances émergentes sont en bonne position des classements internationaux
: croissance rapide (1), part croissante dans le commerce mondial (2),
principaux récepteurs d’investissements directs étrangers (IDE) (3) etc.
Elles jouissent d’une capacité exceptionnelle à augmenter et à diversifier leur
production industrielle (4), mais aussi à monter en gamme pour dégager plus de
valeur ajoutée, sans oublier la progression des activités tertiaires (5).
Les clefs de l’émergence peuvent effrayer les pays du Nord qui voient désormais
des pays du Sud diffuser des produits de haute technologie innovants et
performants. Il s’agit d’une réelle perspective de changement pour l’ordre
économique international. Les exemples les plus frappants sont les rachats de
firmes occidentales célèbres par des firmes chinoises, indiennes ou
brésiliennes (6). Egalement reprise par l’auteur, la thèse de la remise en
question de la division internationale du travail qui s’est opérée depuis le
début des années 2000 : les pays émergents sont à présent capables d’abriter
des activités de conception, de R&D et de direction, et non plus seulement
de fabrication.
Cependant l’émergence économique n’est que la partie visible de l’iceberg, elle est en fait le fondement de la puissance géopolitique et c’est sur cette analyse que se distingue cet ouvrage. Les pays émergents partagent tous, de manière plus ou moins radicale, « la promesse d’un basculement du monde » [page 21] et véhiculent un « nouveau paradigme géopolitique » [page 75]. Le G20, fruit de la crise économique mondiale de 2008 et de la violente période de déclassement subie par l’Europe et des Etats-Unis, est l’une des conséquences évidentes des bouleversements opérés dans l’ordre géopolitique et économique mondial depuis le début des années 2000. C’est sans doute « l’organe de la gouvernance mondiale le plus révélateur du basculement du monde » [page 79]. Les puissances émergentes possèdent également une vision commune des relations internationales, souvent en opposition ou concurrentes aux valeurs occidentales. Que ce soit le Brésil, la Russie l’Inde ou la Chine – les BRIC (7) –, tous prônent la souveraineté étatique et le rejet de l’ingérence. Notons au passage que l’émergence a souvent pour moteur « la revanche sur un passé douloureux » en référence à la colonisation (l’Inde par exemple), de façon plus générale à la domination occidentale (l’auteur dresse un tableau remarquable des humiliations subies par la Chine depuis la Première Guerre de l’Opium en 1839-1842) ou bien à une perte d’influence (la Russie après la chute de l’URSS). Ces principes nouveaux tendent à remettre en cause l’hégémonie occidentale et principalement américaine, ainsi que des valeurs faisant par exemple des droits de l’homme le fondement universel de l’action politique. Cela se retrouve notamment dans l’attitude « horizontale » proposée par les pays émergents aux pays en développement (PED) et aux pays les moins avancés (PMA). Toutefois, pour les pays africains en particulier, bien que cette démarche puisse les aider à s’amarrer à la mondialisation, elle peut aussi faire naitre de grandes tensions sociales et de lourds questionnements (8).
A la lecture du livre de Sylvia Delannoy, on réalise toute l’ambiguïté et la complexité du phénomène de l’émergence. On ne sait pas bien si nous voyons se développer une nouvelle mondialisation, guidée par des principes certes libéraux mais tout de même affranchis des préceptes du consensus de Washington. Des paradigmes concurrents commencent à émerger : le consensus de São Paulo ou le consensus de Pékin, qui revisite la place et le rôle de l’Etat. Ce dernier est perçu comme un acteur clé, capable soit de donner une impulsion à l’activité économique, soit de piloter lui-même les agents économiques afin de construire un plan de développement. Assiste-t-on plutôt à une occidentalisation des puissances émergentes ? Celles-ci restent finalement dépendantes des débouchés commerciaux et des investissements de l’Europe et des Etats-Unis. Elles sont également touchées par le soft power américain, tant dans le mode de vie que dans l’usage de l’anglais comme langue universelle.
Est-ce alors « la capacité d’intégration à la mondialisation qui caractérise le mieux l’émergence » [page 37] ? La globalisation, en effet, a donné aux pays émergents l’occasion de faire valoir leurs atouts et de venir bousculer les grands pays développés. Toutefois, depuis l’effondrement du bloc soviétique et depuis que la montée des pays émergents accélère l’apparition d’un monde multipolaire, on constate la montée en puissance d’un duopole Chine / Etats-Unis – ce que nous appelons le G2 (9) –, qui laisse à penser que nous sommes passés d’une bipolarité à une autre, même si elle n’est que transitoire.
Cependant l’émergence économique n’est que la partie visible de l’iceberg, elle est en fait le fondement de la puissance géopolitique et c’est sur cette analyse que se distingue cet ouvrage. Les pays émergents partagent tous, de manière plus ou moins radicale, « la promesse d’un basculement du monde » [page 21] et véhiculent un « nouveau paradigme géopolitique » [page 75]. Le G20, fruit de la crise économique mondiale de 2008 et de la violente période de déclassement subie par l’Europe et des Etats-Unis, est l’une des conséquences évidentes des bouleversements opérés dans l’ordre géopolitique et économique mondial depuis le début des années 2000. C’est sans doute « l’organe de la gouvernance mondiale le plus révélateur du basculement du monde » [page 79]. Les puissances émergentes possèdent également une vision commune des relations internationales, souvent en opposition ou concurrentes aux valeurs occidentales. Que ce soit le Brésil, la Russie l’Inde ou la Chine – les BRIC (7) –, tous prônent la souveraineté étatique et le rejet de l’ingérence. Notons au passage que l’émergence a souvent pour moteur « la revanche sur un passé douloureux » en référence à la colonisation (l’Inde par exemple), de façon plus générale à la domination occidentale (l’auteur dresse un tableau remarquable des humiliations subies par la Chine depuis la Première Guerre de l’Opium en 1839-1842) ou bien à une perte d’influence (la Russie après la chute de l’URSS). Ces principes nouveaux tendent à remettre en cause l’hégémonie occidentale et principalement américaine, ainsi que des valeurs faisant par exemple des droits de l’homme le fondement universel de l’action politique. Cela se retrouve notamment dans l’attitude « horizontale » proposée par les pays émergents aux pays en développement (PED) et aux pays les moins avancés (PMA). Toutefois, pour les pays africains en particulier, bien que cette démarche puisse les aider à s’amarrer à la mondialisation, elle peut aussi faire naitre de grandes tensions sociales et de lourds questionnements (8).
A la lecture du livre de Sylvia Delannoy, on réalise toute l’ambiguïté et la complexité du phénomène de l’émergence. On ne sait pas bien si nous voyons se développer une nouvelle mondialisation, guidée par des principes certes libéraux mais tout de même affranchis des préceptes du consensus de Washington. Des paradigmes concurrents commencent à émerger : le consensus de São Paulo ou le consensus de Pékin, qui revisite la place et le rôle de l’Etat. Ce dernier est perçu comme un acteur clé, capable soit de donner une impulsion à l’activité économique, soit de piloter lui-même les agents économiques afin de construire un plan de développement. Assiste-t-on plutôt à une occidentalisation des puissances émergentes ? Celles-ci restent finalement dépendantes des débouchés commerciaux et des investissements de l’Europe et des Etats-Unis. Elles sont également touchées par le soft power américain, tant dans le mode de vie que dans l’usage de l’anglais comme langue universelle.
Est-ce alors « la capacité d’intégration à la mondialisation qui caractérise le mieux l’émergence » [page 37] ? La globalisation, en effet, a donné aux pays émergents l’occasion de faire valoir leurs atouts et de venir bousculer les grands pays développés. Toutefois, depuis l’effondrement du bloc soviétique et depuis que la montée des pays émergents accélère l’apparition d’un monde multipolaire, on constate la montée en puissance d’un duopole Chine / Etats-Unis – ce que nous appelons le G2 (9) –, qui laisse à penser que nous sommes passés d’une bipolarité à une autre, même si elle n’est que transitoire.
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