La Suède durant les guerres européennes (1914-1945)
Le monde en 1927 (source : Atlashistorique.net)
Le 2 août
1914, la Suède mobilisa, puis publia, le lendemain, une déclaration
de neutralité « dans le conflit en cours ». Les puissances s'engagèrent
à respecter l'indépendance et l'intégrité du pays, aussi longtemps qu'il
observerait cette neutralité. L'Allemagne, cependant, escomptait qu'elle lui
fût bienveillante. Mais le Reich ne put obtenir que le ralliement de minorités
« activistes », tandis que Hammarskjöld et le ministre des Affaires
étrangères Wallenberg s'efforçaient de maintenir le commerce extérieur et de
préserver le statu quo. Une sorte de fragile union
sacrée s'établit entre le gouvernement et l'opposition de gauche constituée de
libéraux et du Parti social-démocrate devenu, sous l'impulsion de Branting, le premier parti de la seconde Chambre aux
élections de septembre 1914. Cette entente tacite s'exprimait notamment dans la
volonté commune aux partis suédois de conduire une politique
« scandinave », par une concertation Stockholm-Copenhague-Kristiania.
Exportatrice traditionnelle de produits comme le minerai de fer, que la guerre
rendait encore plus précieux, la Suède fut l'objet de pressions répétées.
Certains de ses actes ne furent pas conformes à une stricte neutralité, comme
la mise à disposition de l'Allemagne de ses légations pour des transmissions
télégraphiques de Berlin vers le Nouveau Monde. Le gouvernement Hammarskjöld
chercha avant tout à préserver les intérêts économiques du pays, quitte à mener
une « politique de représailles » à l'égard de l'Angleterre qui
brimait son commerce extérieur. Une partie de l'opinion était sensible aux
appels venus de Finlande et aux mesures de remilitarisation entreprises par les
Russes dans l'archipel d'Åland. Après l'adoption (avr. 1916) de la « loi
sur le commerce en temps de guerre » (Krigshandelslagen), la Suède
s'engagea dans une politique nouvelle de dirigisme économique. Sous la pression
des sociaux-démocrates, le gouvernement adopta diverses mesures propres à
enrayer la dégradation des conditions de vie de la majorité de la
population : ouverture de négociations commerciales avec Londres, maximum
des prix, réduction des exportations de produits alimentaires.
Les difficultés d'approvisionnement et
la pénurie s'aggravèrent considérablement après le printemps de 1917 et la
guerre sous-marine à outrance. Dès le 5 mars 1917, le cabinet Hammarskjöld
dut se retirer devant l'opposition du Riksdag. Le nouveau cabinet
Swartz-Lindman fut accueilli avec scepticisme par la majorité de la seconde
Chambre. Ce cabinet dut faire face à une vague de troubles sociaux d'allure
révolutionnaire qui agita la Suède d'avril à juin 1917, malgré la conclusion
d'un accord (shipping agreement) avec l'Angleterre le 8 mai. Les
sociaux-démocrates et les syndicalistes de la L.O. contribuèrent puissamment à
contrer ce mouvement qui mettait en danger leur leadership ouvrier. Après les
élections de septembre 1917, où les conservateurs perdirent vingt-sept
sièges, Gustave V dut se résigner à appeler le
leader libéral Nils Edén, qui constitua un ministère de coalition avec le
S.A.P. Branting entra alors au gouvernement pour y jouer un rôle d'appoint. Le
29 mai 1918, la Suède conclut un accord avec l'Angleterre. Elle était
contrainte de céder une partie de son tonnage à l'Entente et de réduire ses
exportations de fer vers l'Allemagne. Lui accordant des importations régulières
de céréales, l'accord du 29 mai fut considéré à Stockholm comme une
« assurance antifamine » face à une situation sociale inquiétante.
Après la paix séparée germano-russe et l'indépendance de la Finlande, les
débuts de la guerre civile finlandaise posaient à nouveau la question d'une
intervention suédoise. Il n'en fut plus question
après le débarquement allemand à Åland (5 mars 1918) et la conclusion de
trois traités inégaux entre Berlin et le gouvernement contre-révolutionnaire
finlandais, installé à Vaasa (7 mars). La Suède se préoccupa surtout, dès
lors, de limiter l'influence du bolchevisme et de faire prévaloir les droits
des neutres lors de la future conférence de la paix.
Christian X de Danemark, Haakon VII de
Norvège, Gustave V de Suède et le président finlandaissont au palais royal de
Stockholm pour étudier les relations de la Finlande avec la Russie
soviétique, vers 1920.
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Crédits: Hulton Getty
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Les lendemains de la
guerre furent immédiatement occupés par la révision constitutionnelle. Le
processus complexe des élections à la première Chambre fut démocratisé dans la
mesure où il ne fut plus nécessaire d'être imposé pour être éligible. En
1919-1921, le droit de vote fut accordé aux hommes
et aux femmes âgés de vingt et un ans révolus. Libéraux et sociaux-démocrates,
déjà majoritaires à la seconde Chambre, le devinrent bientôt à la première. La
seconde préoccupation, dans l'immédiat après-guerre, était de politique
sociale, à un moment où l'Allemagne basculait dans la révolution : en 1919
fut adoptée la journée de travail de huit heures. Le
Parti social-démocrate adopta, lors de son congrès de 1920, un nouveau
programme préconisant diverses mesures de socialisation de l'économie. Sous
l'impulsion du ministre des Finances social-démocrate F. Thorsson fut
présentée au Riksdag une réforme radicale des impôts locaux. Le ministère Edén
dut se retirer (mars 1920), et un ministère social-démocrate fut constitué
pour la première fois, dont Branting fut le chef.
Ce gouvernement eut à subir les effets
de la crise internationale qui, en 1920, toucha la Suède. Les élections
défavorables de l'automne de 1920 entraînèrent son retrait. Lui succédèrent
deux brefs ministères de fonctionnaires. Toutefois, l'adoption de la réforme
électorale impliquait la dissolution du Riksdag (juill. 1921) et de
nouvelles élections, favorables cette fois aux sociaux-démocrates. Branting put
constituer son deuxième ministère (1921-1923). La Suède, qui avait adhéré à
la S.D.N, dut se soumettre à son jugement, qui
accorda à la Finlande la souveraineté sur les îles Åland (1921). Cette
déception fut cependant atténuée par la convention internationale d'octobre
1921, établissant la neutralisation et la démilitarisation de l'archipel.
À partir de 1923, la conjoncture se
retourna, le chômage diminua quelque peu et la croissance reprit. La Suède put
rétablir la parité or de la couronne dès 1924. Le débat portant alors surtout
sur le désarmement, on aboutit à un compromis laborieux : la loi militaire
de 1925. Celle-ci imposait de sensibles réductions au budget de l'armée, ce qui
semblait assez conforme à l'esprit de Genève où Hjalmar Branting, désormais à
la tête de son troisième ministère (1924-1925), se posait en « grand
Européen », ami de la paix. La croissance de l'industrie se poursuivit
rapidement jusqu'en 1931 grâce au développement de l'énergie hydroélectrique, à
la multiplication des moyens de transport et à la motorisation. Les gains de
productivité n'étaient cependant pas très favorables à l'emploi ouvrier, ce qui
créa de fortes déceptions à gauche. Les gouvernements minoritaires pratiquaient
un « parlementarisme à bascule » fort peu social, à l'instar des
cabinets libéraux dirigés par Carl Ekman (1926-1928, puis 1930-1932). La crise mondiale, déjà annoncée par les difficultés de
l'agriculture en 1929, frappa de plein fouet dès 1930 une économie très
dépendante de son commerce extérieur. C'est ainsi que les exportations de
minerai de fer, qui atteignaient environ 11 millions de tonnes en 1929,
tombèrent à 2 millions en 1932. Le chômage, déjà élevé, explosa en
quelques mois. D'importants mouvements sociaux se déclenchèrent, comme dans la
vallée d'Ådalen où l'armée tira sur les grévistes, tandis que de nombreuses
faillites secouaient l'industrie ; celle d'Ivar Kreuger déclencha un
scandale politique qui fit chuter les libéraux.
À la suite des élections de 1932, les
sociaux-démocrates reprirent le pouvoir. Per Albin
Hansson forma son premier gouvernement (1932-1936) composé de ministres de la
jeune génération du S.A.P. Partiellement inspiré par les idées développées plus
tard par Keynes, le gouvernement entreprit de lutter contre le chômage par une
politique volontaire de grands travaux et de soutien à l'agriculture. Son
orientation sociale, imposée par les circonstances, visait à faire de la Suède
une « maisonnée » (Folkhemmet). La loi sur les pensions en
1935 en fut l'un des fleurons. Le retour à des pratiques protectionnistes avait
permis un rapprochement entre les sociaux-démocrates et le Parti paysan (Bondeförbundet)
dès mai 1933. Les deux partis purent former en septembre 1936 un
gouvernement de coalition qui dura jusqu'à la fin de 1939. La situation
économique s'était redressée à partir de 1933, stimulée par la reprise des
exportations, en particulier vers l'Allemagne. La montée de la crise européenne
et le rapprochement des partis permirent dès 1936 un accord sur la défense qui
accroissait le temps du service et prévoyait un développement de l'aviation.
L'adhésion à la neutralité était bien plus grande qu'en 1914, et la Suède
rejeta en mai 1939 l'offre que lui faisait l'Allemagne de conclure avec elle un
pacte de non-agression.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Suède réussit à préserver sa neutralité
malgré la guerre menée par l'Union soviétique contre la Finlande
(nov. 1939-mars 1940) puis l'agression allemande contre le Danemark
et la Norvège (9 avr. 1940). Mal préparée, elle ne pouvait rien faire
pendant la guerre d'Hiver de 1939-1940 pour la Finlande, malgré de puissants
courants d'opinion en faveur d'une intervention. Elle mena ensuite une
« politique de conjoncture », plutôt contrainte vis-à-vis de
l'Allemagne jusqu'en 1943, et plus favorable aux Alliés par la suite. Un
gouvernement de coalition nationale, toujours conduit par Per Albin Hansson,
réunit tous les partis du Riksdag, à l'exception des communistes et des partis
d'extrême droite. Coupée de l'extérieur après l'occupation de la Norvège et du
Danemark, la Suède dut introduire le rationnement et négocier ses
approvisionnements avec les belligérants. Une partie du tonnage suédois fut mis
à la disposition des Alliés, mais les exportations de fer vers l'Allemagne
– nécessaires à la Suède en raison des contreparties en charbon –
furent maintenues à leur niveau de 1938 (environ 9 millions de tonnes)
jusqu'en 1943. Les pressions croissantes des Alliés, en particulier pour
l'arrêt de l'exportation des roulements à billes, amenèrent en 1944 un
ralentissement considérable du commerce avec l'Allemagne. Aux élections de
l'automne de 1944, le Parti communiste, en Suède comme ailleurs, réalisa
d'excellents scores, triplant son électorat et obtenant quinze mandats. Le
blocage de la politique sociale durant le conflit et les ambiguïtés de la
diplomatie officielle attiraient vers lui les déçus. Néanmoins, à la fin de la
guerre, la Suède, qui avait accueilli des dizaines de milliers de réfugiés,
apparaissait comme un havre de paix.
L'Europe en 1939 (Source :Atlashistorique.net)
Source : encyclopédie Universalis
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