Les multinationales devront mieux contrôler leurs sous-traitants étrangers
Le texte
vise à prévenir les atteintes graves aux droits de l’homme et à l’environnement
des filiales, sous-traitants et fournisseurs. Très critiqué par le Médef, il a
été voté à l’Assemblée mardi 21 février.
Il a prévu une soirée « festive » à
l’issue de la séance, avec les ONG, les syndicats et tous ceux qui ont
participé à l’élaboration du texte. Pour Dominique Potier, député (PS) de
Meurthe-et-Moselle, c’est la fin d’un marathon législatif de plus de quatre
ans. Comme attendu, la proposition de loi « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », dont M. Potier est le rapporteur,
a été adoptée par l’Assemblée nationale, mardi 21 février, par 94 voix
contre quatre et cinq abstentions. Les Républicains ont annoncé qu’ils allaient saisir le Conseil
constitutionnel contre une « loi punitive à l’égard des grandes entreprises
françaises ».
Les
entreprises françaises ou installées en France d’au moins 5 000 salariés (10 000 pour les
filiales de groupes étrangers) devront désormais établir un plan de vigilance pour « prévenir les
atteintes graves » de leurs filiales, sous-traitants et
fournisseurs aux droits de l’homme et à l’environnement. Dans le cas contraire, elles encourront jusqu’à
10 millions d’euros d’amende, et 30 millions si l’absence de plan
débouche sur un préjudice (pollution d’un cours d’eau, accidents du travail…), avec
publication possible de la sanction.
« C’est
l’occasion de présenter une
majorité unie », se félicite
M. Potier, qui s’est assuré du soutien des parlementaires socialistes, front de gauche, radicaux ou écologistes. Un symbole fort en cette
fin de quinquennat chaotique, qui explique en grande partie l’adoption à
l’arraché du texte. « Nous ne sommes pas naïfs ; c’était
l’occasion pour le gouvernement de sauver les meubles en fin de mandat. Mais c’est un premier
pas. La France devient le premier pays à se doter d’un règlement aussi ambitieux », indique Carole Peychaud, de l’ONG CCFD-Terre
solidaire. Le texte, mûri de longue date par les associations, avait été
relancé après le drame du Rana Plaza.
Jeu de ping-pong entre ministres
L’effondrement de cet immeuble de Dacca (Bangladesh), en 2013, avait
coûté la vie à plus de 1 000 ouvriers du textile travaillant pour des sous-traitants de grandes
marques internationales. Nombre d’entre elles s’étaient abritées derrière la
légèreté des pratiques locales pour ne pas indemniser les victimes. « Quand vous ne savez
plus qui produit in fine votre marchandise, c’est qu’il y a un problème », dénonce M. Potier.
Il aura tout
de même fallu trois moutures et un jeu de ping-pong entre ministres – Emmanuel
Macron était opposé au texte et Michel Sapin a été chargé par l’exécutif de le
réécrire à l’automne dernier – pour arriver à un compromis acceptable par le gouvernement,
soucieux de ne pas se mettre à dos le patronat. La proposition de loi surfe sur la
tendance à transformer la soft
law (« loi douce », non coercitive) en loi dure, comme pour le
vote contraignant des actionnaires sur le salaire des patrons en 2016.
Dans la
dernière version, le texte, initialement accusé de flou, précise les conditions
de mise en place du plan de vigilance : les entreprises devront établir
une « cartographie des risques », et évaluer régulièrement les partenaires « avec lesquels
est entretenue une relation commerciale établie » ainsi que les
mesures de prévention prises. Mais la mise en œuvre demeurera complexe.
« Si les activités d’un groupe chimique entraînent la pollution d’une
rivière au Cameroun, il nous faudra à la fois prouver le dommage, la faute de l’entreprise et le lien de
cause à effet entre les deux », indique Mme
Peychaud.
La portée
extraterritoriale du texte reste également discutée. Ainsi du cas de
H&M : comme dans la plupart des multinationales, les achats sont du
ressort du siège, en Suède. Dès lors, la filiale en France peut-elle faire que l’obligation de plan de vigilance implique la
maison mère suédoise, seule à signer des contrats avec les fournisseurs turcs, bulgares ou
indiens ? Oui, estime Violaine du Pontavice, avocate associée chez EY. « L’esprit
du texte est proche des mesures anti-corruption de la loi Sapin 2 [adoptée
en novembre 2016, et dont le volet corruption devait initialement figurer dans la proposition sur le devoir de vigilance] dans
laquelle l’entreprise établie en France est tenue d’identifier et de prévenir des faits
de corruption pour toutes les entités avec lesquelles elle contracte », indique Mme du Pontavice.
Les
entreprises – 150 à 200 d’entre elles devraient être concernées – crient à la distorsion de concurrence,
puisque seuls les groupes hexagonaux ou implantés en France seront concernés.
« C’est une énième loi renforçant l’incertitude juridique qui pèse sur
nous. Que les gouvernements fassent plutôt leur boulot, en imposant des
embargos sur tel pays ou telle entreprise s’ils estiment qu’ils ne se
comportent pas correctement », peste le responsable conformité d’un
poids lourd du CAC 40. « Les entreprises ne peuvent pas contrôler
l’intégralité de leurs sous-traitants », assène-t-on sans complexe au Medef.
Le Sénat a rejeté le texte le 1er février
« Si
l’on n’est pas capable aujourd’hui de réformer la
mondialisation par la justice, alors on laissera aux extrêmes le monopole de cette
bataille », rétorque M.
Potier, qui espère que la France fera des émules en Europe. Pour
l’heure, seule une directive européenne (non contraignante) sur le reporting
extrafinancier (responsabilité sociale et environnementale) est en cours de
transposition en France. Les obligations du plan de vigilance devant être
publiées dans le rapport annuel des entreprises, elles ne s’appliqueront
intégralement qu’en 2019, pour les activités 2018.
A Bercy, on
marche sur des œufs. « Le gouvernement soutient la proposition de
loi », assure-t-on au cabinet du ministre de l’économie Michel Sapin,
tout en expliquant que deux points demeurent fragiles sur le plan
constitutionnel. D’abord, le champ d’application du texte : le plan doit permettre de « prévenir les atteintes graves envers les
droits humains [… ] la santé et la sécurité des personnes ainsi que
l’environnement ». « Mais où commencent et où se terminent ces
notions ? », s’interroge-t-on à Bercy. Ensuite, la
proportionnalité des sanctions prévues : une amende de 10 millions
d’euros pour un manquement à une obligation de prévention, sans dommage, peut paraître élevée.
Le Sénat,
qui a rejeté le texte le 1er février, devrait saisir le Conseil
constitutionnel dans les prochains jours. « Il pourrait invalider tout ou
partie du texte », admet-on à
Bercy. Réponse, au plus tard, à la fin mars.
Source : Le Monde
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