Qui êtes-vous ?

Toulouse.
Auteur : Serge BOYER. Professeur agrégé d'histoire-géographie. Au lycée Ozenne dep 2002, j'ai eu des activités de formation à l'IUFM et participé à des manuels et rédigé des articles dans la revue "Espace Prépas". Enseigne en CPGE depuis 2009. Auteur principal du nouveau manuel "réussir sa prépa" sorti en 2017 chez Studyrama et réactualisé pour le nouveau programme (sortie juin 2021). Jurys : CAPES, ECRICOME, TBS, GEM. Chargé de cours à TSE sur l'histoire des faits économiques et de TD de géopolitique à l'Université Jean Jaurès. Mail : sergeboyer@netcourrier.com

mardi 21 octobre 2014

Colle d'actu n°2 : pourquoi les Kurdes n'ont-ils toujours pas d'Etat ?


Les Kurdes sont un peuple iranien, descendant des Mèdes, qui compterait environ 40 millions de personnes. Depuis un siècle, certains Kurdes luttent pour leur autodétermination, afin d'avoir leur propre patrie, le Kurdistan. Pourquoi les kurdes n'ont-ils toujours pas d'état?
1) Un Kurdistan est-il envisageable, comme le prétendait le traité de Sèvres en 1920?
Les kurdes sont dispersés principalement sur 4 états : la Syrie, la Turquie, l'Irak et l'Iran, dont la superficie est égale à celle de la France. Le premier obstacle au Kurdistan est cette éclatement géographique, la population est divisée.
Les disparités entres les populations kurdes proviennent aussi de la façon dont elles sont traitées par les gouvernements des 4 pays : 
-En Turquie : Les autorités turques ne reconnaissent pas la domination de "Kurdistan" et parlent plutôt de "région de l'Anatolie du sud-est". On observe une discrimination sévère et permanente : droits différents du reste de la population. Dernièrement des initiatives ont vu le jour pour trouver des solutions d'intégration (tv en kurde, kurde reconnue comme langue dans les écoles).
- Le traitement syrien des Kurdes se caractérise par de la maltraitance, des persécutions et une censure, accompagnée d'une forte minoration de  l'identité kurde : l'Etat peut interdire la reconnaissance des enfants sous des noms d'origine kurde, des écoles privées kurdes et des livres écrit en kurde peuvent être interdits.
- L'Iran reconnaît la langue et la culture kurde mais pas autonomie politique, ni administrative et problèmes de religion : les kurdes sont sunnites et les iraniens chiites (2 branches majoritaires de l'islam). Mais la question kurde est une question parmi tant d'autres car l'Iran est un pays pluriethnique.
-En Irak depuis 2003 et plus particulièrement depuis la mort de Saddam Husseim, les kurdes disposent d'une autonomie économique, juridique et même politique, au nord du pays.
De plus, aucun des 4 états ne souhaitent se séparer d'une partie de leur territoire national pour créer le Kurdistan. Pour créer un état kurde, il apparait évident qu'il est nécessaire que les populations kurdes dépassent les frontières et les disparités qui les séparent, ce qui semble assez compliqué sans une force politique unie.
2) Les kurdes sont-ils politiquement organisés?
-Depuis plus d'un siècle, on observe chez les Kurdes une volonté de s'unir dans des organisations politiques afin de défendre leurs intérêts communs (territoriaux, culturels, lutte contre la discrimination …)
- Cependant cette organisation politique  est très relative. Tout d'abord la division du Kurdistan sur plusieurs états entrainent des disparités qui font qu'il n'existe pas un mouvement politique kurde unique mais bien des partis nationaux qui défendent les intérêts kurdes dans leurs états.  Par exemple, la majorité des Turques kurdes ne souhaitent pas leur indépendance politique mais une reconnaissance  culturelle  et  la fin des discriminations de la part de l'état Turque là où les kurdes d'Irak ont obtenu une autonomie politique. De plus à l'intérieur même des 4 états, les mouvements politiques kurdes sont divers. On peut citer l'exemple de l'Irak avec le parti emblématique du PDK (lui-même divisé en une mouvance historique et une mouvance pacifiste) qui est aujourd'hui remis en cause par le parti UPK, composé de Kurdes qui ne soutiennent plus le leader du PDK et qui appellent à une action plus importante et plus armée. L'exemple de la Syrie est aussi pertinent puisque le pays compte aujourd'hui plus de 17 partis kurdes aux revendications diverses.
-On observe toutefois une coopération militaire ces derniers mois entre les différents partis du Kurdistan pour lutter contre l'expansion fulgurante de l'état islamique, notamment autour de la bataille de Kobané, ville Kurde à la frontière de la Syrie et de la Turquie. Ainsi l'UPK envoie de nombreux hommes depuis plusieurs semaines pour éviter que la ville ne tombe aux mains de daesh qui a répliqué le lundi 12 octobre en faisant exploser un des sièges du parti en Irak, tuant 25 personnes.
-Le peuple Kurde s'est donc organisé en partis nationaux  mais les différences d'ordre idéologique et les disparités de situations  ne permettent pas une vie politique organisée au niveau plus global  du Kurdistan.
3) Pourquoi l’Etat islamique s’en prend-il aux kurdes ?
 Les Kurdes, handicapés par leur éclatement géographique et leurs disparités politiques et culturelles, demeurent conscients que la communauté internationale est hostile à leur projet indépendantiste par soucis de respecter les frontières héritées de l’ordre colonial. En témoigne l’échec du PKK qui avait tenté, durant les années 1980, de faire émerger à nouveau par la lutte armée, l’idée d’un grand Kurdistan uni. Depuis, la seule expérience qui ait fait ses preuves est plus modeste : l’exemple irakien. Le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), présidé par Massoud Barzani, est doté d’une force armée de 190 000 hommes, les peshmergas, les gardes régionaux kurdes. L’armée irakienne n’est pas autorisée à pénétrer en territoire kurde dont l’autonomie partielle est reconnue depuis 2005 et les autorités kurdes se passent désormais de l’accord de Bagdad pour passer des contrats pétroliers avec des compagnies étrangères. Le GRK est donc une réussite aux yeux de tous les Kurdes, et l’espoir que ce modèle constitue pour la lutte kurde pour l’indépendance et la richesse que fournit cette région au peuple kurde fait peur à l’Etat islamique. En effet, les sous-sols du GRK forment la deuxième réserve de pétrole de l’Irak. De plus, avec la guerre en Syrie, les Kurdes ont développé une autonomie à travers des comités locaux semblant représenter une expérience démocratique assez réussie dans une région où l’autocratie règne depuis un demi-siècle. Le projet kurde est aux antipodes de celui de l’Etat islamique. Ce dernier prône une version extrémiste de l’islam et la résurrection du califat, mode de gouvernance musulman disparu il y a un siècle, contrairement au principal parti kurde syrien, le PYD, groupe laïc de tendance socialiste, qui accorde une place importante à la femme y compris au sein de sa branche armée, les YPG. L’un des commandants kurdes à Kobané est d’ailleurs une femme. L’Etat islamique cherche à enlever aux Kurdes le contrôle de près de 100 km de frontière avec la Turquie, alors qu’il en tient dejà une large partie au nord d’Alep. La chute de Kobané ouvrirait la voie à une offensive contre la ville d’Hassaké, frontalière de la partie est de la Syrie sous contrôle kurde, zone riche en pétrole, verrou stratégique entre les territoires controlés par l’EI en Irak et en Syrie. Cette jonction faciliterait l’entrée en Syrie de djihadistes étrangers arrivés par les aéroports turcs et le trafic de pétrole. Enfin, Kobané abrite le QG du « gouvernement provisoire » des Kurdes de Syrie. L’EI cible les Kurdes et les disparités religieuses sont en effet des facteurs qui jouent dans ce phénomène. Le yézidisme est un courant religieux kurde considéré par exemple par l’EI comme prônant l’adoration de Satan et ses fidèles sont persécutés. Selon les analystes, en plus d’être motivé par les contradictions religieuses, la montée en puissance de l’unification kurde et leur richesse en pétrole, l’attaque des Kurdes par l’EI ferait aussi l’affaire de la Turquie voisine. Pour Cyril Roussel, docteur en géographie, il est possible que la perte de Kobané ressemble à l’anéantissement du projet kurde avec la complicité d’Ankara. Le conflit kurde avait en effet dejà fait 40 000 morts depuis 1984 en Turquie. Le président du pays déclare même de façon claire : « Pour nous le PKK est la même chose que l’EIIL ».
Pour conclure, 3 raisons principales expliquent aujourd'hui l'absence d'un état kurde :
-Des frontières et des disparités qui séparent la population kurde et qui semblent très durs à dépasser
-l'absence de coopération et de ligne commune sur le plan politique entres les partis kurdes des différents pays
-la volonté de l'EIIL de créer un califat sur le territoire kurde.
Depuis plus de20  jours, Kobane représente un enjeu majeur à la fois pour la question de l'union du peuple kurde et pour la lutte contre l'état islamique. La prise de la ville par les djihadistes pourrait donc représenter un tournant historique pour le Kurdistan.
Sources :

-Dossier "Géopolitique actuelle des Kurdes en Turquie, en Irak et en Iran" http://echogeo.revues.org/2380 

-Article du |par Maxime Bourdier du 11/08/2014  " Irak: pourquoi les combattants kurdes sont devenus indispensables face à l'Etat islamique" http://www.huffingtonpost.fr/2014/08/11/irak-combattants-kurdes-etat-islamique_n_5667905.html

-Article de LEXPRESS.fr, publié le 12/10/2014 " Irak: une triple attaque suicide de Daesh fait 25 morts" http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/irak-une-triple-attaque-suicide-de-l-ei-fait-25-morts_1610641.html

-Document vidéo : Le Dessous des cartes "Kurdistan, un nouvel état au Moyent-Orient" en avril 2013

Auteurs de la colle : JACQUIER Clara, CHAVAUX Nicolas et AUGE-VISA Valentine.

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